Les sociologues de l’innovation [1] se sont intéressés au parcours qui a conduit des innovations soit à s’imposer, soit à tomber dans l’oubli. Il s’agit d’innovations à dominante technique ou à dominante sociale. Ils constatent :
- Ce n’est pas la qualité intrinsèque de l’innovation qui fait qu’elle va ou non s’imposer, mais le processus sur lequel elle s’appuie et en particulier la consolidation et l’élargissement du réseau qui la porte ;
- Ce processus est pavé de controverses à travers lesquelles les faits se construisent et l’innovation s’élabore ;
- Ce réseau va se consolider par rallongement, en intégrant de nouvelles entités.
L’espace d’innovation en quatre dimensions, permet de situer l’objet selon les variables influant sur la catégorie de l’innovation. Les innovations peuvent appartenir aux différentes dimensions suivantes : elles peuvent être des innovations de produit (niveau 1), de service (niveau 2), de processus (niveau 3), ou bien marketing (niveau 4). La télévision mobile est une nouveauté pour le grand public impliquant de nouvelles technologies, elle n’est donc ni de niveau 3 ni de niveau 4. De plus, cette innovation pouvant se commercialiser sur différents supports, nous pouvons dire qu’elle a des implications techniques sur les produits concernés mais n’est pas à proprement parler une innovation produit.
Cependant, le service offert par la télévision mobile est identique à celui offert par des produits existants tels que les télévisions portatives. Peut-on alors considérer la télévision mobile comme une innovation de service ?
Si nous répondons à cette question par la négative, alors il est injustifié de parler d’innovation. Pourtant cette dernière apporte un élément nouveau : l’intégration du service de télévision en mobilité sur un téléphone portable. Ainsi, même si la télévision mobile n’est pas un nouveau service, elle renouvelle le service de télévision en mobilité et acquiert par là-même le statut d’innovation de service (niveau 2). Les degrés d’inventivité proposés par Altshuller (1999) sont au nombre de cinq : solution apparente liée aux connaissances d’un individu (niveau 1), amélioration mineure liée aux connaissances d’une entreprise (niveau 2), amélioration majeure liée aux connaissances de l’industrie (niveau 3), nouveau concept lié aux connaissances toutes industries confondues (niveau 4), et découverte liée à l’ensemble des savoirs (niveau 5). La télévision mobile est, comme nous l’avons vu, une suite logique du phénomène de convergence des média, associé à la multiplication des fonctions intégrées dans un téléphone mobile. Nous pouvons donc assurer qu’il ne s’agit pas d’une découverte, au sens d’Altshuller. La télévision mobile faisant appel aux connaissances non d’une seule entreprise mais de toute l’industrie des télécommunications (téléphonie mobile, audio-visuel, etc.), je me permets de considérer qu’il s’agit d’une amélioration majeure, c’est-à-dire que son degré d’inventivité est de niveau 3. La complexité technologique peut être faible (niveau 1), moyenne (niveau 2) ou haute (niveau 3). La télévision mobile est une innovation faisant appel à de la haute technologie, aussi elle n’appartient clairement pas au niveau 1. Cependant, une hésitation serait légitime entre les degrés 2 et 3. En effet, comme expliqué au paragraphe II.2.ii, la télévision mobile peut être diffusée selon deux technologies distinctes. D’un côté, la diffusion unicast étant parfaitement maîtrisée par les opérateurs de téléphonie mobile, un degré de complexité 2 serait approprié.
D’un autre côté, la diffusion broadcast n’est pas réellement maîtrisée par les opérateurs, un degré de complexité 3 pourrait être accepté. Considérant que les opérateurs de diffusion télévisuelle maîtrisent les techniques de diffusion broadcast et les opérateurs de téléphonie mobile celles de diffusion unicast, et sachant que ces deux technologies sont juxtaposées de façon transparente pour l’utilisateur, sans être pour autant mélangées, il me parait judicieux de considérer que la télévision mobile a une complexité technologique moyenne, c’est-à-dire de niveau 2. Enfin, la variable ‘portée de l’innovation’ comporte trois degrés : microéconomique (niveau 1), national (niveau 2), ou bien macroéconomique (niveau 3). Il est évident que la télévision mobile a des répercussions bien plus vastes que les entreprises de télécommunications. Il s’agit même là d’une innovation dont la diffusion mondiale a été rapide. Néanmoins, dans le cadre de cette étude nous nous intéressons uniquement au marché français, d’autant plus qu’il n’est pas leader mais suiveur en matière de télévision mobile, l’Asie étant par exemple bien plus en avancé que la France sur le sujet. La télévision mobile a donc une portée nationale, c’est-à-dire de niveau 2.
Notes :
[1] Nous nous référerons notamment aux écrits de Michel CALLON et Bruno LATOUR.
[2] La notion de message publicitaire est défini par l’article 2 du décret du 27 mars 1992 modifié par les décrets du 7 octobre 2003 et du 6 novembre 2003, à savoir : « Constitue une publicité, toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée. »