La nécessité de résoudre les contingences techniques reste indéniable, mais il est absolument clair qu’ils ne doivent pas obscurcir le fait que ce sont les contenus qui feront le succès de la télévision mobile.
Que vas t’on voir sur la télévision mobile ? Faut-il concevoir des programmes spécifiques ? Faut-il diffuser les programmes des chaînes de télévision ? Quelles seront les implications économiques pour les uns et les autres ?
La majorité des chaînes sélectionnées par le CSA sont issus de la télévision classique. Ce fait a soulevé deux problématiques :
- Au niveau de la programmation : L’usage de la télévision mobile modifie la notion de grille de programmes (sessions courtes et pics d’audience décalés) [1].
- Au niveau des contenus : Les règles de tournage de la télévision supposent des formats de longues durées, en 16/9, avec des plans larges [2]. La télévision mobile se devant assurément de conserver en grande majorité des attributs de la TNT (« produit vache à lait ») afin de rester un média fédérateur aux yeux des Français.
Une volonté d’encourager le reformatage et l’écriture de contenus a donc été prise en compte par le CSA dans la limite des 30 % du temps d’antenne. Malgré le coût nécessaire en matière de création, plusieurs chaînes [3] ont sous-entendue une évolution progressive de leurs services linéaires. On y retrouverait ainsi :
- Des successions de programmes courts de 6 à 10 minutes et « pastilles» de 1 à 2 minutes, non produit autour d’une structure d’intrigue (miniséries [4], mini-documentaires [5], mini-interview [6], télé-crochet, bandes-annonces du prime-time) ;
- Des programmes « fragmentés » en association ou en déclinaison avec des plateformes de télévision de rattrapage. L’objectif serait pour les producteurs de marier les multiples supports médias en proposant aux diffuseurs des « packs» (contenus classiques, contenus spécifiques et services interactifs) ;
- Des programmes fédérateurs promouvant le « pré-access» et « access prime-time ». Le jeu étant particulièrement adapté aux tranches horaires ou le téléspectateur rentre chez lui car dès lors qu’il connaît la mécanique, l’animateur, il est capable de prendre l’émission en cours de route, de la comprendre et d’y prendre plaisir. Selon Olivier ABCASSIS, directeur général adjoint d’E-TF1 et directeur général de WAT [7], ces types de programmes seront le plus courant (« Les mobinautes consomment des programmes qu’ils connaissent, ensuite parce que l’économie ne permet pas de produire exclusivement pour le mobile. L’enjeu, c’est de bien adapter les contenus existants ») ;
- Des programmes dédiés aux cultures mobiles urbaines (des pistes de recherche se dégagent en autre sur le blog http://www.culturemobile.net d’Orange) ;
- Des émissions diffusées en boucle (flash d’informations, vidéos « buzz») ;
- Des pilotes et prototypes de concept. Il sera enfin possible de diffuser des émissions sur un public spécifique et d’analyser les résultats avant de les généraliser [8].
- Des émissions dont le contenu est produit par les utilisateurs eux-mêmes (divertissements, reportages, comédies) : Les vidéos filmés à partir de téléphones portables, smartphones, baladeurs numériques de type iPod Nano [9] et prochainement tablette iPad 2, font le succès des blogs et des portails vidéos Internet. Dans tous les domaines de la production, le matériel amateur devient d’une qualité quasi-professionnelle [10]. Selon l’Association française du téléphone mobile (Afom), un abonné sur quatre au téléphone mobile utilise son appareil pour tourner des vidéos. 27 % des internautes ont ainsi consulté des vidéos réalisées par leurs pairs au cours des trois derniers mois [11]. Notons qu’il existe déjà le « Festi-Mobiles de la Fondation d’Auteuil », le « Mobile Film Festival », le « Mobile Video Days Awards » et le « Festival Pockets Films » qui promeuvent les productions audiovisuelles, conçus, adaptées ou déjà diffusées sur mobile [12].
La télévision mobile verra ainsi une coexistence de l’offre TNT au sens classique (prolongement mobile du téléviseur traditionnel) et un paysage audiovisuel complémentaire. Quel qu’il soit, ces contenus devront être facilement disponibles sur des plateformes de visionnages en différé (des diffuseurs ou des producteurs). La consommation individuelle ne permettant pas de partage et de synchronisation émotionnelle [13], la publication du lien d’une vidéo existante sur les réseaux sociaux et les blogs du téléspectateur répondra à ce processus.
Notes :
[1] Aujourd’hui, la notion de grille de programmes se trouve confronté à une profonde mutation. Avec des sites de VàD tel qu’orange.fr et MyTF1.fr, près de 24 millions de personnes peuvent avoir accès au film, soit beaucoup plus qu’une diffusion sur une chaîne hertzienne en deuxième partie de soirée.
[2] Emmanuel VACHER, directeur marketing multimédia d’Orange, souligne que « l’écran est petit, à peine quelques centimètres de large. Cela crée une limite physique, l’utilisateur se lasse beaucoup plus vite qu’avec un écran normal », propos recueillis dans l’article « Reformater les contenus de télévision et de cinéma pour le téléphone mobile », revue La Correspondance de la Presse, 6 avril 2006, p. 7. Pour Bertrand MEHEUT, président de Canal +, « ce mode de consommation va se développer pour l’information ponctuelle et les programmes courts », propos paru dans l’article « Enjeux et défis du média Télévision au XXIe siècle », revue Mines Revue des Ingénieurs, n° 441, juillet-août 2009, p. 11.
[3] Réponse du groupe M6 à la consultation publique du CSA ; Propos de Direct8, Eurosport et NT1 disponibles sur le site http://www.tvntmobile.com.
[4] La série « 24h00 » a été adaptée en format 24 x 1 minute pour la diffusion sur téléphone mobile.
[5] La chaîne France 5 a multipliée les programmes de type interlude (« Mes années 60 », « Avis de sorties », « La vie des animaux selon les hommes », « Femmes du monde »).
[6] Des programmes tels que « C à dire » présentée par Thierry GUERRIER ont des formats adaptés à une consommation mobile (durée de 9 à 12 minutes).
[7] Acronyme de “We are talented ».
[8] Aux Etats-Unis, des tests de pilote auprès de focus-groupe avant diffusion sont organisés par les chaînes avec parfois des propositions différentes pour tenter d’anticiper les réactions du public.
[9] Steve JOBS, Président-directeur général d’Apple, avait présenté le 9 septembre 2009, une nouvelle version du baladeur iPod Nano. Il est équipé d’une caméra vidéo et facilite le transfert de clips filmés sur Youtube.
[10] Propos tenus par Simone HALBERSTADT HARARI dans son ouvrage La télé déchaîné, édition Flammarion, Paris, 2009.
[11] Article « Le téléviseur n’a plus le monopole de la télévision », revue Écran total, n° 695, 20 février 2008, p. 13.
[12] Les contenus autoproduits ou « user generated content » (UGC) se sont développées sur Internet (Web 2) en impliquant les téléspectateurs d’un même réseau dans la production de contenus distribués. Cette catégorie rassemble les services type Youtube, Dailymotion, Hulu, Wat ou Wideo qui permettent aux utilisateurs de charger leurs propres contenus vidéo sur une plate-forme accessible à tous les autres abonnés. Selon, Jean-Noël TRONC, directeur stratégie de la marque Orange, « la France est le 3e pays au monde dans l’explosion des blogs. On en compte 9 millions dont 2,5 actifs. 48 % des 18-24 ans font de la vidéo avec leurs mobiles. Or, 80 % des blogueurs ont moins de 24 ans. Donc le marché des contenus auto générés est appelé à exploser ».
[13] La synchronisation émotionnelle est l’opération qui consiste à unifier ces émotions lors d’une consommation collective. Les regards se détournant de l’écran afin de capter les expressions des voisins et former ainsi une impression générale dominante. A l’inverse, lors d’une consommation individuelle ou dans l’obscurité (salle de cinéma), la question « Tu as aimé ? » reviendra pour palier à ce sentiment de solitude.